- Fiche
- Oeuvres en VO
Interview 65214g
- News
- Images
- Avis(0)
Interview de l'auteur 6u4f3i
Publiée le Vendredi, 16 Février 2024 17611d
521k4z
L'un des gros lancements en des éditions Panini Manga l'année dernière fut assurément Yu Ito, de remporter en 2012 le 16e Prix Culturel Osamu Tezuka du meilleur espoir, "espoir" étant un bien grand mot puisque sa carrière durait depuis déjà plus d'une décennie. L'éditeur ne s'y est donc pas trompé en faisant de l'artiste son invitée d'honneur lors de Japan Expo 2023, événement qui fut l'occasion pour nous d'aller à sa rencontre dans le cadre d'une interview. A l'occasion de la sortie du tome 8 de la série le 14 février,nous vous proposons aujourd'hui d'en découvrir plus sur la mangaka et sur son oeuvre !
Shut Hell nous immisce auprès de Sudô, un lycéen faisant, depuis quelque temps, des rêves hyper réalistes semblant issus d'un é lointain, où une guerre fait rage avec son lot de morts et de maisons qui brûlent. C'est dans ce contexte que Suzuki, une camarade de classe récemment transférée, habituellement distante et au regard étrange, se rapproche de lui, visiblement dans un but précis, jusqu'à s'inviter chez lui pour découvrir le petit magasin d'instruments laissé en plan par ses parents. Là, le jeune garçon avoue avoir récemment fabriqué un instrument qu'il trouve bizarre, sans trop savoir pourquoi ni comment. Et quand Suzuki se met à en jouer, ses rêves si réalistes prennent plus de consistance que jamais en semblant même le plonger dans ce fameux é lointain, auprès d'une fille laissée pour morte, devenue amnésique alors qu'elle semblait ivre de vengeance: Shut Hell, à qui son sauveur le jeune Yurul va tâcher de rafraîchir la mémoire. Comme son nom l'indique, la série va principalement nous conter la quête vengeresse de cette fameuse Shut Hell, à une époque de l'Histoire qui reste quelque peu méconnue par chez nous mais qui a bel et bien eu lieu: celle, très large, des invasions mongoles au 13e siècle, sous le joug du Grand Khan.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours, et de la manière dont vous avez embrassé le métier de mangaka ? Le manga a-t-il toujours été une ion ?
Yu Ito : J’ai étudié l’Histoire Orientale à l’Université. Après quelques one-shots, j’ai dessiné l’adaptation du roman Mobile Suit Gundam – Iron Bloooded Orphans et son jeu.
Je crois que j’avais 11 ans quand j’ai utilisé un stylo plume pour la première fois. Ensuite, vers mes 13, j’ai essayé pour le première fois de dessiner une planche complète de manga avec des cases.
Je pense que j’ai toujours voulu devenir mangaka, mais sans vision claire. Vers la fin de mes études, quand j’ai failli rater quelques matières ou quand je n’étais pas très motivée pour chercher un emploi, j’ai eu l’envie d’envoyer mes planches à des éditeurs. A cette époque le magazine Ultra Jump, un supplément du Young Jump, venait d’être créé. Un de mes amis aurait montré à un éditeur un doujinshi que j’ai dessiné et qui lui a plu, si bien que j’ai ensuite participé à un concours organisé par ce magazine.
Y a-t-il des oeuvres ou auteurs qui ont forgé ce choix ?
Parmi les auteurs qui m’inspirent, je peux citer Osamu Tezuka, Shotaro Ishinomori, Mitsuteru Yokoyama, Fujio Fujiko, Katsuhiro Otomo, Naoki Urasawa, George Morikawa, Masatoshi Kawahara, Yoshihisa Tagami, Kyoko Hikawa, Yun Kôga, Hinako Sugiura, Hisashi Sakaguchi, Ken Ishikawa, Yasuhiko Yoshikazu, Ryôji Minagawa, Mutsuki Amatatsu, et Atsuji Yamamoto.
Je peux y ajouter des artistes hors manga : Frank Frazetta, Masayuki Miyata, Norio Shioyama, Saiichi Maruya, Shuntaro Tanikawa, Cormac MacCarthy et Bill Sienkiewicz.
Côté œuvres, il y en a plusieurs qui me viennent en tête : Au bord de l’eau de Mitsuteru Yokoyama, Hell Boy de Mike Mignola, Sinbad d’Atsuji Yamamoto, Shinsengumi de Hiroshi Kurogane, Akira de Katsuhiro Otomo, et Fleurs de pierre ainsi, qu’Ikkyu de Hisashi Sakaguchi.
A gauche Omokage Maru, à droite Ookami Rise.
Après avoir remporté un prix dans le magazine Ultra Jump, vous avez publié votre premier manga : Omokage Maru. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette première expérience, et ce qu'elle vous a apporté ?
Comme le magazine Ultra Jump venait d’être créé, la porte était grandement ouverte. Il ne fixait pas le nombre de pages minimum pour le manuscrit. J’avais l’impression qu’il acceptait même des gens moins motivés comme moi. Mais je m’estime très chanceuse d’avoir pu publier mes œuvres dès sa création, car le magazine est devenu très populaire tout de suite après .
J’ai eu beaucoup d’hésitations lors de la création de ce manga, parce que je n’ai pas pu saisir le thème que j’aurais exactement voulu. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai ensuite accepté l’adaptation en manga d’un roman. Je pense avoir pu comprendre ce que je souhaitais, avoir pu trouver des thèmes que je voulais traiter. Néanmoins, dès cette première série, j’ai déjà pu dessiner des scènes cruciales, dont une où le protagoniste devait faire un choix sur la vie d’une autre être. Concernant les designs des personnages, avec le recul je pense que Omokagemaru, Daiji et Daihi ne sont pas mal du tout. Daiji a des pattes d’oiseau sans raison apparente, et j’aime bien ce côté un peu illogique mais très dynamique.
Parlons à présent de Shut Hell. Grâce à une brève interview dans le dossier de presse français de la série, on sait que vous avez toujours été fascinée par les origines de la route de la soie et des pays qu'elle traverse. En quoi celle-ci vous fascine-t-elle exactement ? Et pourquoi, dans tout ça, avoir choisi le cadre des invasions mongoles au 13e siècle, et plus précisément au cœur de la soumission du Royaume des Xia Occidentaux par les armées du Khan ?
Quand j'étais jeune, je lisais beaucoup de romans qui traitaient de l'Histoire de Chine, en particulier du nord-ouest du pays. C'est ce qui m'a beaucoup attirée vers cette région qui me captive.
Le point de départ de la série était l'idée que les écritures et les manuscrits traversent les pays et les époques. C'est une idée qui me tenait beaucoup à coeur, et que je pense avoir en quelque sorte héritée de ma lecture du roman Tonkô de Yasushi Inoue (sorti en aux éditions Stock sous le nom Les chemins du désert, ndlr), dont on dit qu'il a été écrit suite à la découverte des Manuscrits de Dun Huang cachés dans les grottes de Mogao. C'est de là qu'est ensuite venu l'encrage de mon histoire à l'époque des invasions mongoles.
Toujours grâce au dossier de presse, on sait que la série a germé en vous à une époque où vous désapprouviez et craigniez l'orientation politique que prenait le Japon. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Je vois ce que vous voulez dire, mais je pense qu'il y a eu dans le dossier de presse une petite erreur de traduction qui a légèrement modifié mon propos.
Je ne voulais pas parler de la politique au Japon en particulier, mais plutôt dans le monde entier. Il y a certains pays qui, encore aujourd'hui, envahissent d'autres pays et saccagent leur culture, et c'est quelque chose qui m'a toujours un peu révoltée. C'est aussi de ce constat désolant qu'est née mon envie de mettre en avant, dans Shut Hell, l'importance de préserver des éléments culturels tels que les écritures, qui sont un moyen de transmission essentiel.
Comment vous est venue l'idée de mélanger récit historique et récit de réincarnation ?
L'histoire de Shut Hell se déroulant dans une région et une époque qui, je pense, restent assez méconnues du grand public, j'ai voulu la rattacher à notre époque via la réincarnation du héros, d'autant plus que cette thématique de réincarnation est populaire.
Il s'agissait donc pour moi d'un moyen d'attirer plus de lecteurs sur cette histoire,et je dois vous avouer que c'est mon éditeur qui m'a soufflé cette idée au moment de la conception de la série.
Sans entrer dans les détails, dès les premiers tomes on sent que vous voulez aborder certaines thématiques fortes: les raisons bonnes ou mauvaises que peuvent avoir les humains pour faire la guerre et combattre (la vengeance, la soif de conquête, la protection des êtres ou choses à qui/quoi on tient...), l'importance de la transmission à travers les générations, l'essentialité de l'écriture et autres traces écrites pour continuer de faire "vivre" des civilisations ées... En quoi exactement ces thèmes vous tiennent à cœur ?
Je pense qu'à travers tout ces thèmes lourds de sens et importants, je voulais décrire le fait que, dans le monde, il y a beaucoup de personnes qui ont des idées différentes et qui défendent leurs idées, et que selon le point de vue où l'on se place il y a des gagnants et des perdants, car certaines idées s'imposent et perdurent quand d'autres disparaissent.
Il y a toujours plusieurs visions, plusieurs regards sur les choses, et je souhaitais montrer ces différences.
On sait que la série est très documentée, comme en attestent les bibliographies en fin de tomes. Quelle part de votre temps de travail cela vous demandait-il au fil de la conception de la série ?
De mémoire, j'ai collecté des informations pendant environ un an, en achetant tout ce que j’ai pu trouver: des livres documentés, des livres de photographies, des mangas éducatifs pour les enfants sur cette époque.
J'ai également eu la chance de pouvoir traverser cette région, de Yinchuan (dans la série, il s'agit de Xingqing, la capitale des Tangoutes) jusqu’à Chengdu en ant par Xi’an (qui se nommait Kaifeng à l’époque). Au fil de ce voyage, j’ai pu constater les changements du paysage et du climat. Je me souviens notamment du mont Maiji, sublime, que j'ai traversé au moment du nouvel an chinois, si bien qu'il n'y avait personne d’autre autour de moi. C'était une pure merveille.
Après, étant donné que la région du monde où se déroule la série m'attirait depuis l'enfance, j'en avais déjà une certaine image dans ma tête.
A part ça, il y a aussi des descriptions inexactes dans la série, parfois volontaires et parfois par erreur. Par exemple, lors de mon voyage j’ai vu beaucoup de maïs séché et suspendu, et j’ai donc incorporé ça dans mon oeuvre, mais par la suite un lecteur m’a informé que l’introduction de maïs dans la région avait eu lieu quelques siècles plus tard. J’ai pu corriger cette erreur pour la parution des chapitres concernés en volumes reliés.
Shut Hell a remporté en 2012 le prix du meilleur espoir du prix culturel Osamu Tezuka, décerné par le journal Asahi Shinbun. Que représente ce prix pour vous ?
J’étais très contente. J’aime beaucoup le journal Asahi Shinbun qui organise ce prix. Ils ont publié des essais écrits par Saiichi Maruya et Shuntaro Tanikawa que j’ire.
Cependant, Je préférais que ce prix ne prenne pas trop d’importance dans mes souvenirs, alors j’ai rangé la statuette en forme d’Astro Boy que j’ai reçue dans un endroit où je ne la vois pas tous les jours.
Dans vos différentes oeuvres, on remarque un rapport à la bestialité. C'est notamment le cas dans Ookami Rise avec les homme loups, et Shut Hell où l'héroïne présente un côté très sauvage. Qu'est-ce qui vous inspire ce côté animalier ? D'où vient-il ?
J'ai été inspirée par les animaux sauvages réels, car à mes yeux ils représentent la liberté, la force et l'adaptation à la nature parfois hostile où ils doivent vivre.
Chacun des animaux qui m'a inspiré correspond à un des principaux personnages de ma série: Shut Hell est une louve, Harabal est un tigre...
Justement, le loup en particulier est une figure forte de ces deux mangas. Il est presque divinisé, que ce soit par le grand loup qu'affronte Shut Hell au début de la série, où Ken dans Ookami Rise qui est presque un dieu pour les siens. En quoi la figure du loup vous fascine-t-elle ?
Le loup est intelligent, est très patient, est très protecteur et solidaire envers ses compagnons et sa progéniture (ce que j'adore vraiment), est capable de puissance en particulier dans cette volonté de protéger ses compagnons...
Il existe aussi des sanctuaires qui divinisent les loups, et à mon avis c'est un animal qui nous fascine depuis la nuit des temps. C'est pour ça que, tout naturellement, il m'attire moi aussi.
Vos mangas présentent aussi un certain rapport à la guerre, où les enjeux sont bien plus qu'une victoire. Ils sont la liberté ou la reconnaissance d'une humanité dans Ookami Rise, voire la préservation du patrimoine et des langues, autre vecteur d'humanité, si on s'intéresse à la quête de Yurul dans Shut Hell. Finalement, pourquoi dépeindre des récits guerriers pour aborder toutes ces notions ?
En fait, j'ai envie de demander au monde entier: est-ce qu'il y a quelqu'un qui ne s'intéresse pas à ces thèmes-là ?
Par exemple, dépeindre les combats, les stratégies militaires, c'est intéressant mais ce n'est pas essentiel. Ce qui est plus important, c'est ce qui se cache derrière: ce qu'on veut protéger, les raisons pour lesquelles on combat.
Pour finir, avez-vous un message à adresser à votre lectorat français ?
Merci beaucoup de vous intéresser à mon travail, vous qui vivez à l'autre bout du Japon. Je suis honorée d'avoir été invitée en , et j'espère que vous pourrez continuer à découvrir mes séries.
Interview réalisée par Koiwai et Takato. Un grand merci à Yu Ito, à Sophie Cony des éditions Panini pour l'organisation de l'interview, ainsi qu'à Masahiro Choya, le responsable de la collection manga de l'éditeur, pour sa qualité d'interprète !